Mujō

Paul Hōjō Pichaureau

12 avril 2024, 20 h

Les maîtres anciens, par exemple maître Dōgen, Shinran ou maître Daichi, commençaient souvent leur prédication en parlant de mujō, l'impermanence. A l'époque c'était une impermanence plutôt dramatique. Les guerres étaient nombreuses, on pouvait perdre tous ces biens, sa famille et la vie même en quelques heures. Aujourd'hui les forces qui agissent sur nos vies sont très différentes mais le vent violent de mujō n'a pas cessé de souffler. On peut continuer à en souffrir ou, comme ça a toujours été le cas, continuer à essayer d'en profiter pour renforcer son égo. Pourtant au milieu de cette vie qui semble conditionnée par des forces qui nous dépassent, nous connaissons l'esprit d'éveil, bodaishin. Une sorte d'intuition que tout cela n'est pas grand-chose. Une sorte d'intuition que l'authenticité, la vérité de notre vie est au-delà de ces changements, aussi drastiques soient-ils. Et nous avons eu la bonne chance de pouvoir nous assoir en zazen, de pouvoir approfondir bodaishin.

On s'assoit et qu'est-ce qu'on voit ? Mujō est aussi nous-mêmes. Nous aussi nous changeons. Chaque seconde qui change notre vie nous change aussi, en profondeur, jusqu'à la moëlle des os. Mujō c'est l'activité incessante de l'univers. Mujō c'est la multitude des causes et conditions. Mujō c'est une grande vérité à laquelle on ne peut se soustraire. Mais on peut en soustraire la dimension d'illusion, de souffrance. On peut effacer la morsure de l'impermanence. On peut laisser filer ce qu'on aime et être proche de ce qu'on déteste sans en souffrir outre mesure.

Peu avant sa mort, Étienne Zeisler, dans les derniers kusen qu'il prononçait à la Gendronnière, disait : « Éveillez-vous à ce qui ne meure jamais ». Si on a mujō à l'esprit, on se demande ce qui ne meure jamais. Et bien ce qui ne meure jamais c'est précisément mujō, l'activité incessante de l'univers. Ce qui ne meure jamais c'est bodaishin, l'aspiration à l'éveil.

En cette année de pratique au dojo qui s'achève et en cette année de pratique au dojo qui va commencer, je nous souhaite à tous de continuer à pratiquer ce qui semble impraticable, à approfondir l'esprit d'éveil au milieu de nos vies impermanentes.

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