L'âne regarde dans le puit (2)
17 mars 2023, 19 h
Sōzan[1] demande au vieux De : « Le Dharmakāya du Bouddha est comme le ciel immense. Il répond instantanément à l'appel de tous les êtres, comme le reflet de la lune sur l'eau. Vieux De comment comprenez-vous cette phrase ? » Et le vieux De répond : « C'est comme l'âne qui regarde dans le puits ». Sōzan lui dit : « C'est bien, mais vous n'en avez dit que quatre sur cinq » Alors le vieux dit « Et vous maître, que diriez-vous ? » Le maître répond : « C'est comme le puits qui regarde l'âne ».
Dans l'ancien temps, on n'expliquait pas les kōans, chaque moine devait les comprendre par son étude et sa pratique. Mais il faut dire aussi que les moines étaient des moines professionnels qui avaient beaucoup lu, beaucoup étudié. Ils étaient unsui, eau et nuage, c'est-à-dire qu'ils allaient de temple en temple pour suivre l'enseignement de nombreux maîtres. Nous c'est un peu différent, on découvre tout ça, et toutes les références et les sous-entendus de ce genre de kōan nous échappent si on ne lit pas quelques commentaires.
Une histoire ancienne en Chine raconte l'histoire d'un âne qui regarde un jour dans un puits et voit son reflet au fond de ce puits. Il fait « Ah ! bonjour compère âne ! Que faites-vous au fond de ce puits ? » Il voit un reflet et pense qu'au fond il y a un autre âne. C'est l'image de notre esprit conscient qui se voit lui-même, dans la multitude des causes et conditions et dans la multitude des phénomènes des entités. C'est l'image de kū soku ze shiki : notre esprit qui transforme kū, le vide, en shiki, les phénomènes. L'esprit qui transforme le reflet sur l'eau en être véritable qui vivrait au fond du puits.
Kū soku ze shiki, shiki soku ze kū, vous connaissez cela. Au zen on vient avec notre esprit quotidien, avec nos affaires, et on voit l'esprit qui continue à travailler sur les mêmes objets, les projets, les soucis, l'ego qui continue à raconter ses histoires. Puis on pratique une journée et à la fin tout ça s'est délité. On est juste un phénomène au milieu des phénomènes, c'est-à-dire kū.
Alors que vient faire le Dharmakāya du Bouddha dans cette histoire ? En Inde ancienne, en Chine ancienne et au Japon du temps de Dōgen, il semblait difficile de croire que le Bouddha, un être remarquable, ait une action limitée à sa vie sur Terre. Il était au-delà de tous les êtres, au-delà des dieux même, et il ne pouvait pas connaître la mort, c'est-à-dire l'impureté suprême. Alors petit à petit a émergé une conception en trois corps : le corps d'apparition, c'est-à-dire le corps physique du Bouddha ; un corps pour enseigner aux grands êtres, aux dieux ; et le Dharmakāya, le corps de Loi, le corps ultime, au-delà des causes et conditions, au-delà des samsaras, le corps inconditionné pourrait-on dire, c'est-à-dire l'action du Bouddha à travers le temps et l'espace.
Lorsque Philippe Coupey, mon maître, parle de Dharmakāya, il parle de l'enseignement des maîtres, de la sangha à travers les âges, il parle de l'enseignement de maître Deshimaru qui devient l'enseignement de Philippe qui devient l'enseignement des disciples de Philippe.
L'âne regarde le puits, le puits regarde l'âne. L'âne regarde l'âne et le puits regarde le puits. Alors qu'est ce que le Dharmakāya là-dedans ?
Le véritable corps du Dharma, véritable Dharmakāya du Bouddha, comme le ciel vide, manifeste des formes en réponse aux êtres, comme la lune dans l'eau. Comment comprendre cette réponse ?
Sōzan Honjaku (ch. Caoshan Benji, 840-901), disciple de Tōzan Ryōkai (ch. Dongshan Liangjie, 807-869), parfois considéré comme le co-fondateur de l'école Caodong (Sōtō). ↩︎
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